Interview de Patrick d’Arifat à l’occasion des 5 ans d’existence de l’entreprise mauricienne

23 August 2017
Le CEO de Alteo Group dresse un premier bilan et livre son opinion sur l’avenir de l’industrie sucrière à Maurice et dans la région.
Alteo célèbre cette année ses cinq ans. Quel regard jetez-vous sur la fusion entre FUEL et Deep River Beau Champ (DRBC) ? 
Je jette sur cette fusion un regard positif d’autant que toutes nos opérations ont aujourd’hui été parfaitement intégrées grâce à la fermeture de DRBC. Les 1,4 millions de tonnes de cannes que nous produisons annuellement sont broyées par la sucrerie d’Alteo Milling à Union Flacq. Lorsque nous regardons les importants challenges qui se présentent à nous aujourd’hui, nous sommes satisfaits d’avoir pu réaliser cette fusionet être ainsi mieux placés pour faire face à ces nouveaux enjeux. Constituer des bases solides à Maurice nous permet aussi d’envisager une croissance plus importante en Afrique. Avec nos trois opérations, à Maurice, en Tanzanie et au Kenya totalisant une production d’environ 335,000 tonnes de sucre par an, Alteo est désormais un des plus importants groupes sucriers africains.  Fusionner deux entreprises à l’identité forte a-t-il été chose aisée ?  Les deux entreprises sont en effet arrivées avec leur personnalité, leur caractère et leur héritage. Cela a certes pris du temps mais au bout d’un moment, l’on arrête de voir les problèmes et l’on commence à voir les opportunités qui se présentent à nous. Nous avons tous œuvré pour faire de cette fusion une réussite. Nous avons atteint notre vitesse de croisière. Dans cinq ans, l’on ne parlera sans doute plus de la fusion mais uniquement d’Alteo, c’est notre objectif.
Quels sont les défis majeurs que compte relever l’entreprise ? 
En termes de production cannière à Maurice, il s’agit pour nous de poursuivre et d’intensifier tous nos efforts de mécanisation tout en maintenant la productivité. C’est la seule manière pour nous d’être compétitif aujourd’hui. Il nous faut continuer à préparer les terres, faire de l’aménagement et mécaniser de manière efficace. 
Notre sucrerie à Maurice broie, comme je l’ai souligné plus tôt, 1,4 millions de tonnes de cannes et produit quelque 135 000 tonnes de sucre. Notre objectif et de rendre tout le processus de production encore plus efficace. Cela passe par une amélioration de l’efficience opérationnelle et de la plus-value apportée par la production de sucres spéciaux. Les premiers balbutiements sont passés et nous sommes désormais dans une phase d’optimisation. 
En Tanzanie, TPC continue à faire des gains de productivité et bénéficier de prix de vente intéressants. Nous avons terminé en mars une récolte record avec plus de 1 million de tonnes de canne à sucre et 110,000 tonnes de sucre produits. Cela ne fait qu’un an et demi que nous sommes également présents au Kenya et cela prendra un peu plus de temps avant que nous puissions atteindre une vitesse de croisière. Après une très bonne récolte en 2016, l’année 2017 sera plus difficile en raison de la plus faible production cannière. Les perspectives à moyen/long terme restent cependant très bonnes.
Pour ce qui est du volet énergétique, nous comptons investir dans deux nouvelles chaudières plus efficaces et respectueuses de l’environnement. Il faut savoir que les chaudières actuellement en opération datent de 1984 et de 1998. Nous sommes actuellement en négociation avec les autorités à ce sujet.
Du côté du ‘Property’, nous avons complété la phase sud et centre du développement d’Anahita et nous venons de démarrer la phase nord, que nous espérons terminer très prochainement. En parallèle, nous mettrons en chantier d’autres développements immobiliers dans les régions est et nord-est. 
Notre équipe de management s’est, par ailleurs, étoffée au siège et dans les filiales. Nous sommes aujourd’hui bien structurés pour affronter les challenges et optimiser les opportunités qui se présentent. Au niveau des ressources humaines, nous lançons des programmes de développement ayant pour objectifs de permettre à nos Managers et Exécutifs, de développer leur plein potentiel chez nous. Nous sommes ainsi, arrivés à un niveau de maturité mais il faut que nous continuions sur cette belle lancée et que nous développions davantage nos secteurs d’activités. 
Le secteur sucrier à Maurice fera face à de gros défis cette année avec notamment la fin des quotas en septembre 2017 et la réduction significative annoncée des prix pour la présente récolte. Comment le secteur et Alteo se préparent à relever ces défis ?
Une nouvelle « révolution » du secteur est, en fait, de mise, compte tenu des nouveaux enjeux qui nous confrontent. Les producteurs et les autorités en sont pleinement conscients et nous avons déjà entamé un dialogue important sur les mesures structurelles à prendre. L’industrie sucrière n’a aujourd’hui non seulement plus de filet de protection mais est, en compétition, avec d’autres industries plus efficientes et qui bénéficient de protections nationales. L’industrie doit donc à tout prix accélérer son processus d’optimisation de toutes ses opérations. Cela passe inexorablement par la poursuite de la révision du cadre régulateur dans lequel l’industrie fonctionne et qui est à bien des égards dépassé. Le Protocole Sucre, les marchés garantis et les prix préférentiels sont bel et bien morts, il faut tourner la page et courageusement poursuivre la restructuration de l’industrie sucrière. C’est inéluctable !
Au niveau d’Alteo, notre ambition est de faire grandir une culture d’excellence encore plus forte parmi nos employés, en développant encore plus nos talents et notre expertise. Nous avons la conviction que notre ADN sucrier et la somme de nos talents dans ce secteur à Maurice et dans la région, constituent aujourd’hui notre plus grande force. C’est cette somme de talents et d’expertises qui nous permet d’avoir le niveau d’ambition que nous avons aujourd’hui à Maurice et dans la région. 
Autre défi auquel que fera face ce secteur cette année est le Brexit. 
Le Brexit demeure un sujet flou. En ce qui concerne le secteur sucrier mauricien, je pense que nous avons la chance d’avoir bien diversifié nos marchés. Nous exportons non seulement en Angleterre mais une grosse partie de nos sucres est aussi livrée sur le continent européen et avons débuté une percée sur l’Afrique de l’Est. Ceci dit, le marché anglais est historiquement un marché qui a toujours valorisé le sucre de canne. Il y a donc une tradition de consommation de sucre de canne, qui est probablement plus répandue en Grande Bretagne qu’ailleurs. Le sucre mauricien, plus particulièrement nos sucres spéciaux, ont auprès de l’Union Européenne et de la Grande Bretagne, une véritable notoriété. Il va donc falloir continuer à capitaliser là-dessus tout en accélérant la diversification de nos marchés. Il faut évidemment être vigilant mais il n’y a pas de raison de penser que l’accès que nous avons aujourd’hui, ne sera plus là demain. Le Brexit sera certes un challenge mais également une opportunité. 
Par ailleurs, la situation en Europe ne s’améliore pas. Pensez-vous que l’économie mauricienne est trop ‘euro-centric’ ?
Je pense qu’il serait effectivement souhaitable que Maurice continue à élargir ses horizons, mais, il me semble que cet objectif est aujourd’hui bien intégré par tous les acteurs économiques. L’importance accrue de nos échanges avec l’Afrique et l’Asie en est le meilleur exemple. En fin de compte, le défi sera – selon moi – non pas de remplacer l’Europe par d’autres destinations économiques mais de venir en rajouter, je pense ici aux pays d’Afrique, du Moyen-Orient, ou d’Asie. Il faut s’ouvrir à un maximum d’opportunités. La grande ‘chance’ de Maurice est que finalement les parts de marchés que nous souhaiterions avoir dans ces pays, sont infimes. Notre production est, ce qu’elle est. Nous pouvons donc sans doute, pénétrer dans certains marchés même avec 1-2 % du marché ; ces marchés étant énormes, nous n’avons pas besoin d’en contrôler 30 ou 50 %. En d’autres mots, il nous suffirait de faire de petites percées dans un certains nombres de marchés intéressants. 
Alteo est placé à la première place du classement de productivité du dernier Top 100 Companies pour l’année 2015-16. A quoi attribuez-vous cette performance ?
C’est bien d’être à la première place mais le plus important, c’est d’être à la première place par rapport à ses propres objectifs. Nous avons, de mon point de vue, encore une marge de progression. Il nous faut aujourd’hui viser cette excellence opérationnelle pour nous permettre d’être non seulement à la première place mauricienne mais également à la première place au niveau de la région. Nous ne sommes plus à ce jour en compétition avec Maurice, mais bien en compétition avec la région. 
Les groupes tels qu’Omnicane, ENL, Medine, Terra, entre autres, ont tous un projet de Smart City. Ce créneau n’intéresse pas Alteo ?
Les activités d’Alteo se concentrent dans la région Est de l’île. Nous pensons que dans l’état actuel des choses le concept de Smart City ne s’appliquerait pas bien à la région Est. Ce concept a de nombreuses implications aussi bien au niveau des développements résidentiels que professionnels. De ce fait, nous pensons que dans l’état actuel des infrastructures, principalement de la connectivité de l’Est avec les autres régions du pays, il ne serait pas opportun de développer une Smart City dans cette région. 
Notre vision est plutôt de contribuer à faire de l’Est un ‘Smart Region’ en participant activement à l’amélioration de l’environnement social et économique, des infrastructures commerciales, des activités de loisirs mais aussi en imaginant une offre résidentielle qui permettrait aux habitants de la région de vivre mieux tout simplement. Nous sommes un opérateur important dans cette région et nous voulons de concert avec les autorités et les autres ‘stakeholders’ développer une vision d’ensemble de la région. Nous avons à cet effet déjà initié de nombreux échanges tant avec le secteur privé que le secteur public et nous nous donnons les moyens nécessaires pour réaliser ce grand projet.
Notre ambition est de contribuer à un développement intelligent et durable de la région Est – une région, non seulement où il ferait bon vivre, mais aussi bénéficiant d’un environnement propice à l’habitat, au travail, à la pratique de nombreux loisirs et surtout bien connecté avec le reste de l’île. 
Vous êtes dans le domaine sucrier, l’énergie et immobilier. Le groupe compte-t-il diversifier davantage ses activités ?
Pour le moment, nous souhaitons nous concentrer sur les secteurs dans lesquels nous sommes déjà investis. Au niveau énergétique, nous venons de signer un PPA avec le CEB pour un projet de ferme photovoltaïque à Beau Champ. Nous sommes aussi en discussion avec les autorités pour la création d’une nouvelle centrale de 40 MW à Union-Flacq en remplacement de nos centrales existantes. 
Nous travaillons aussi sur la valorisation de tous les sous-produits de la canne, avec par exemple une étude en cours sur les opportunités liées à la mélasse. Au fil des années, nous avons énormément investi dans la sucrerie, en augmentant sa capacité de production. Nous avons construit une raffinerie et investi dans les sucres spéciaux. Je dirais que nous sommes actuellement dans une période de maturité et que notre prochain investissement de taille sera celui de la nouvelle centrale thermique à Union Flacq dont le coût est estimé à environ 175 à 200 millions d’euros. 
On parle de ‘black-out’, de ‘general breakdown’. 
Je pense que dans le ‘track-record’ que nous avons vécu à Maurice, mis à part, de petits incidents isolés, nous avons toujours su éviter ce genre de situation. Il me semble qu’aujourd’hui, la production est bien équilibrée entre les secteurs privé et public. Il y a des plans de production qui ont été établis par rapport à l’augmentation de la demande ; c’est un débat intéressant car il s’agit de ne pas trop investir en anticipation d’une demande qui par la suite ne viendrait pas. En même temps, il semble primordial d’anticiper suffisamment afin de ne pas être pris de court. Il y a donc toujours un prix à payer pour avoir une certaine marge de sécurité. Je pense ainsi, que la venue d’un régulateur dans le domaine énergétique serait très positive. Elle permettrait à une autorité indépendante, d’établir une politique nationale – après consultations – et de s’assurer, comme nous l’avons souvent fait, qu’on prenne la meilleure des décisions. 
 
On avance que la CEB est une institution dépassée. Votre avis.
Toutes les institutions doivent se réinventer régulièrement et cela s’applique aussi au CEB. Je pense d’ailleurs qu’il a déjà initié cet exercice et est en réflexion sur son avenir. Si l’on veut d’un CEB plus moderne, il faut s’en donner les moyens. Plus globalement, il faudrait repenser notre politique énergétique, car si nous souhaitons augmenter la part du renouvelable dans la production d’électricité, il y aura sans doute un prix à payer. La question de « qui s’en acquittera » est une question importante sur laquelle il nous faudra encore discuter, mais je crois qu’il y a des choix stratégiques qui doivent être faits au niveau national. Je crois que le CEB est un composant important de la chaîne mais il n’est pas seul. Il est primordial d’inclure cela au sein d’une politique énergétique nationale. C’est là où le régulateur entrera en jeu afin de mettre tout le monde autour de la table et de définir ensemble cette politique énergétique. Ceci avec des options stratégiques, qui auront probablement un coût un peu plus élevé au départ mais avec des implications et des avantages, certainement, stratégiques et même économiques et financiers sur le moyen et long terme. Il y a toujours un arbitrage à faire entre le court et long terme.

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