André Bonieux : « Le sucre importé inonde toujours notre marché créant une situation intenable »

14 May 2020
Dans cet entretien avec le Défi Quotidien, le CEO d’Alteo s’exprime sur l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur ses activités, les attentes de l’industrie et l’autosuffisance.
En marge de la coupe 2020, comment se présente la situation dans les champs, en termes de superficie et récolte anticipée pour 2020 par rapport à 2019 ?
La saison s’annonce relativement normale avec une récolte estimée à 650 000 tonnes de cannes dans nos champs. Au niveau de l’usine, nous avons pour objectif de broyer 1,2 million de tonne de cannes d’ici à la fin de la coupe, soit légèrement moins que l’an dernier. Pour l’heure, l’industrie sucrière a été épargnée par l’impact du coronavirus puisque l’obtention de Work Access Permits (WAP) nous a permis de poursuivre l’entretien de notre usine, de nos machines agricoles et de nos champs pendant le confinement.  Sans le travail crucial fait par nos équipes ces dernières semaines, il aurait été impossible pour nous de démarrer la coupe à temps, avec des conséquences catastrophiques non seulement pour nous, mais pour tous les acteurs du secteur cannier et sucrier. En effet, l’industrie est un écosystème comprenant planteurs, usiniers, mais aussi transporteurs de cannes et de sucres, contracteurs, fournisseurs, et tous auraient subi l’impact d’un bouleversement dans ce secteur.
 
Covid-19 est un écueil auquel personne ne s’attendait. Comment la pandémie a-t-elle entravé la préparation des champs en marge de la coupe 2020 et quelles mesures ont été adoptées?
Comme expliqué plus haut, l’impact a fort heureusement été mitigé par l’obtention de WAP et le travail réalisé par nos équipes. Nous avons aussi mis l’accent sur la sécurité de chacun de nos employés avec une série de mesures sanitaires extrêmement strictes. Nous avons ainsi procédé au ‘fogging’ (désinfection) de notre usine et tous nos employés, à l’usine comme aux champs, doivent en permanence porter un masque et maintenir la distanciation physique. De plus, la température de chaque personne arrivant à l’usine est contrôlée et des gels hydroalcooliques sont disponibles pour la désinfection régulière des mains, afin que tous puissent travailler sereinement. Nous finalisons actuellement les protocoles pour l’après 18 mai et, a priori, nous ne changerons rien aux mesures déjà en place, au moins pendant les premières semaines du déconfinement.
 
En terme financier, à quel point la pandémie du Covid-19 vient alourdir les charges du groupe et, par ricochet, le chiffre d’affaires du groupe?
Au niveau de nos clusters Sucre et Energie – à Maurice comme ailleurs – l’année devraient se dérouler normalement, bien que nous craignions une seconde vague épidémique en pleine campagne sucrière à Maurice ou un lockdown stricte en Afrique de l’Est où nous avons deux usines. Nous avons suivi les recommandations du WHO pour assurer la sécurité de nos employés au sein de toutes nos opérations à Maurice, en Tanzanie et au Kenya, avec le port obligatoire du masque et le lavage régulier des mains. Au final, le seul impact matériel au sein du groupe Alteo sera ressenti au niveau de notre hôtel, Anahita Resorts and Villas, et du golf. Nous travaillons actuellement sur plusieurs mesures qui ont pour but de repenser ces activités et d’y mitiger l’impact du coronavirus. Nous sommes aussi en attente de mesures gouvernementales éventuelles pour aider le secteur touristique où l’impact a été dramatique. En fonction des propositions gouvernementales, nous déciderons de nos mesures pour gérer les 12 mois difficiles qui nous attendent en faisant le maximum pour protéger les emplois.
 
En cette année 2020 où la pandémie domine l’actualité, quel type de soutien est attendu du gouvernement et dans quels délais? Pourquoi?
Le sucre reste dans une situation difficile, voire précaire. Nous nous efforçons depuis plusieurs années déjà de réduire nos coûts de production mais, à ce jour, ceux-ci restent au-delà de nos recettes à Rs 10 500 la tonne de sucre (TS). L’aide perçue de l’Etat en 2018/2019, à hauteur de Rs 1 250/TS, n’a pas été reconduite cette année mais serait la bienvenue, en attendant les recommandations de la Banque Mondiale. Les petits planteurs ont, eux, reçu Rs 13 000 d’aide de l’Etat (soit Rs 25 000 la tonne de sucre moins environs Rs 12 000 du Syndicat pour le sucre, la mélasse et l’alcool). En attendant, le Central Electricity Board (CEB) continue à payer une pitance pour l’énergie de la bagasse. A ce rythme, nous approchons rapidement du jour où il n’y aura plus de bagasse, puisque nous sommes passés de quelque 6 millions de tonnes de cannes il y a une dizaine d’années à 3,2 millions de tonnes en 2020, créant ainsi un énorme manque à gagner pour le CEB puisqu’ils doivent compenser cette baisse de production d’électricité à partir de la bagasse par du charbon ou en produisant de l’électricité avec des moteurs diesel. Comme pour les légumes aujourd’hui, nous finirons par regretter un jour de ne pas avoir suffisamment favorisé la production locale ! Or, cette production locale de bagasse a un coût, que personne ne veut payer, mais qui pourrait permettre de pérenniser tout la filière cannière. Ainsi, toute l’industrie sucrière attend avec beaucoup d’impatience les recommandations de la Banque mondiale.
 
Est-ce que le licenciement ou Voluntary Retirement Scheme selon les anciennes formules sont toujours d’actualité? Comment procéder en ces moments difficiles?
Le Voluntary Retirement Scheme tel que nous l’avons connu dans le passé est définitivement hors de question : nous ne pouvons tout le simplement pas le financer. Chez Alteo, nous préférons plutôt discuter au cas par cas, à la demande de l’employé, une approche qui a été acceptée par nos équipes et qui est toujours d’actualité.
Au niveau de l’hôtellerie, nous faisons face à des difficultés majeures causées par l’impact du coronavirus. Nous mettons tout en œuvre pour éviter les licenciements, mais personne n’a de ressources illimitées. Quoi qu’il en soit, tout licenciement sera une mesure de dernier ressort.
 
Quelle analyse faites-vous du marché local pour le sucre ? Est-ce que la demande est en baisse ou en hausse ? Comment comptez-vous aborder cet écueil?
Le marché local est stable, mais du sucre importé inonde toujours notre marché, venant de pays voisins qui sont, eux, fermés à notre sucre. Je parle là de l’Afrique du Sud et cette situation est intenable. Encore une fois, nous produisons localement mais préférons importer du sucre de pays voisins. Sur cette lancée, la production locale disparaitra rapidement puisque nous favorisons des producteurs étrangers qui sont souvent subventionnés et exportent à perte à Maurice alors que les producteurs locaux sont, eux, obligés d’exporter leur sucre à des prix inférieurs!
 
L’autosuffisance domine l’actualité. Commencons par l’énergie. Où en sommes-nous ?
En matière d’autosuffisance énergétique, nous devons accélérer le développement des énergies renouvelables surtout le solaire, l’éolien et la biomasse. Aujourd’hui, Alteo produit autour de 100 GWh d’électricité à partir de bagasse et de paille de canne et notre ferme photovoltaïque de 10 MW à Ernest-Florent produit 17 GWh annuellement. Nous avons aussi un rôle à jouer avec les planteurs pour optimiser la production d’énergie à partir de la biomasse. Cette année, nous avons proposé un projet 100 % biomasse au CEB qui est en ligne avec la stratégie du gouvernement de produire 35 % d’énergies renouvelables d’ici à 2025. Les planteurs peuvent donc jouer un grand rôle dans la transition énergétique du pays mais, faute d’attention, ce secteur pourrait mourir…
Et quid de l’autosuffisance alimentaire ?
Au niveau de plantations de fruits et de légumes, il serait sans doute possible pour tous les propriétaires terriens d’agir en faveur de l’autosuffisance alimentaire, en mettant par exemple à profit les terres marginales des grands sucriers ou encore les terres abandonnées par les petits et moyens planteurs de cannes. Néanmoins, toute activité doit rester profitable, puisqu’elle nécessite des investissements. Pour la pomme de terre, par exemple, nous avons mécanisé notre production et avons planté plusieurs dizaines d’hectares à Mon Loisir notamment.
Est-ce que tout se rapporte à la superficie disponible dans le pays ?
La question dépasse la notion de disponibilité des terres. Car à quoi servirait de mettre des terres à disposition et de demander à tout le monde de produire tous azimuts sans une planification sophistiquée de nos besoins, détaillée sur 12 mois ? Une telle organisation permettrait à tout producteur de légumes de savoir que son produit trouvera demandeur à des prix raisonnables et que son activité sera profitable, mais ferait aussi disparaître ces pénuries qui font grimper la note pour le consommateur. Ce n’est pas tout de dire : ‘’Produisez !‘’ Il me semble que tout le monde peut en sortir gagnant s’il existait une meilleure coordination et une meilleure visibilité de ce qui se passe en termes de production locale, qui devrait également avoir la priorité sur toute importation. Ainsi, à certaines conditions, tous les propriétaires terriens seraient certainement partants pour se lancer dans la production de légumes.

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