En Une de Business Magazine – 17 mai 2023
Journaliste: Eve Fidèle
Malgré un environnement macroéconomique encore incertain, Alteo a construit une base solide pour lancer une nouvelle phase de croissance. Son CEO, Fabien de Marassé Enouf, dit envisager l’avenir du groupe avec beaucoup de sérénité en s’appuyant notamment sur une feuille de route toute tracée. S’agissant de notre sécurité énergétique, il se dit convaincu que le «Biomass Framework» renforcera la position du gouvernement et du pays en faveur des énergies renouvelables, ce qui est essentiel si nous voulons atteindre l’objectif de 60 % d’énergie verte d’ici à 2030.
Miwa Sugar a été créée pour reprendre la gestion des opérations sucrières qui jusqu’ici faisaient partie d’Alteo en Tanzanie et au Kenya. Pourquoi cette séparation ? Comment fonctionne cette nouvelle entité et comment cette restructuration a-t-elle modifié votre mode de fonctionnement ?
En effet, la nouvelle entité Miwa Sugar a été créée pour assurer la gestion des ex-actifs du groupe en Afrique, plus précisément en Tanzanie et au Kenya, alors qu’alteo se focalise entièrement sur Maurice. Cette réorganisation poursuit plusieurs objectifs pour les deux entités. D’une part, elle permet à Miwa Sugar de bénéficier d’une structure plus agile afin de faciliter son accès au capital et de poursuivre le développement de son empreinte cannière en Afrique de l’Est. D’autre part, cette réorganisation permet à alteo de mettre l’accent sur la valeur ajoutée de notre cluster Property – désormais appelé à devenir le moteur de croissance du groupe – et de consacrer tous nos efforts à la réalisation de notre ligne directrice, qui se résume en une phrase : Making the East an everlasting place to grow.
Avec la scission du groupe, une partie significative des profits annuels de l’entreprise ces dernières années fait désormais partie d’une autre entité. Comment le groupe aborde-t-il la prochaine étape dans son développement ?
Avec la scission des activités locales et régionales en deux entités distinctes, l’une gérant les opérations basées à Maurice et l’autre celles basées en Afrique de l’Est, alteo est devenu un groupe 100 % centré sur l’île Maurice. Ainsi, le groupe s’est repositionné en tant que créateur de valeur à partir de son patrimoine foncier dans l’Est de l’île Maurice.
Cette réorganisation ne pouvait pas arriver à un moment plus opportun. À Maurice, elle a été faite juste après la transformation réussie de nos opérations sucrières qui a vu la modernisation et la mécanisation de nos processus afin de gagner en productivité et l’augmentation de nos capacités de production de sucres à plus forte valeur ajoutée. Si nous avons fait ces investissements significatifs, c’est bien parce que nous croyons fermement dans la canne, à condition d’être le plus efficient possible grâce notamment à l’agriculture de précision !
En outre, nous sommes l’un des principaux propriétaires fonciers de Maurice et nous sommes d’avis qu’en tant que tel, et en tant qu’acteur économique majeur de l’île, nous avons le devoir de participer à l’indépendance alimentaire du pays en pratiquant une agriculture raisonnée. Nous avons d’ailleurs lancé plusieurs projets dans ce domaine récemment.
Au niveau de notre pôle Énergie, nous avons renouvelé notre Power Purchase Agreement (PPA) avec le Central Electricity Board (CEB) et nous restons attentif à tous les appels d’offres qui concernent l’énergie verte à Maurice : biomasse, éolien, solaire… Nous avons d’ailleurs récemment pris l’engagement de stopper toute utilisation de charbon dans les cinq prochaines années ; nous sommes donc impatients de voir arriver un National Biomass Framework qui établira les bases qui nous permettront de réaliser cette vision.
Enfin, notre pôle Property est appelé à prendre une importance considérable à l’avenir puisque ce cluster deviendra le moteur de croissance de notre nouveau groupe. Cela étant dit, notre ligne directrice est claire : tout développement doit être raisonné, réfléchi. Il ne s’agit pas de bétonner à tout va ! Nous sommes un acteur de l’est de l’île et nous avons une passion pour cette région ; nous souhaitons donc la développer en la respectant, en respectant sa ruralité, son âme, son charme, ses habitants, ses champs, ses arbres… Notre projet Anahita Beau Champ, une Smart City qui sera officiellement lancée dans quelques semaines, va dans ce sens : l’accent est mis sur le bien-être et le partage, non seulement pour ses résidents, mais aussi pour les habitants de la région.
Comme vous le voyez, malgré un environnement macroéconomique encore incertain, nous avons construit une base solide pour lancer une nouvelle phase de croissance pour notre groupe. Nous envisageons notre avenir avec beaucoup de sérénité et nous avons une feuille de route toute tracée.
Dans un contexte économique complexe, Alteo a réussi à réaliser une solide performance. Quels sont les pôles d’activités les plus porteurs de croissance ?
Comme expliqué plus tôt, notre pôle immobilier connaît un essor certain et nous développons davantage de projets fonciers. D’ailleurs, le pôle a également connu une croissance significative avec la reprise des opérations hôtelières et golfiques et la livraison des dernières parcelles du développement résidentiel Mont Piton 2 et plusieurs ventes à Anahita.
Par ailleurs, notre prochain projet de développement foncier, Anahita Beau Champ, se fera sous le régime ‘Smart City’ et sa première phase s’étendra sur 118 hectares, dont 50 seront consacrés à des terrains et des unités résidentielles destinés au public mauricien et aux acquéreurs étrangers. Les 50 hectares restants seront des développements non résidentiels qui viendront enrichir la destination d’une nouvelle offre mixant commercial, loisirs et services. Une zone agricole y sera aussi développée et sera accessible au grand public. Elle proposera des circuits de promenade et des activités pédagogiques pour les résidents et le public externe. Ce projet représente la suite d’Anahita et le principal relais de croissance du pôle.
Au niveau de notre cluster agro-business, nous avons souffert d’une mauvaise récolte cannière en 2022 qui a malheureusement impacté nos résultats semestriels au 31 décembre 2022 malgré des conditions de marché très favorables. Selon les informations disponibles, ces conditions de marché devraient perdurer et nous nous préparons donc pour la prochaine campagne avec des perspectives très positives.
Les années COVID ont eu un impact certain sur les entreprises à Maurice et dans le monde. Alteo a-t-il eu à réexaminer et repenser son mode de fonctionnement ? Quels sont les éléments clés qui guideront les actions du groupe à l’avenir ?
Comme beaucoup d’entreprises, alteo a aussi ressenti les effets de la pandémie mais nous avons su nous adapter afin de mitiger l’impact sur nos activités.
C’est surtout notre pôle Property, à travers Anahita Golf and Spa Resort, qui a été affecté par la fermeture des frontières. L’impact a ainsi été non négligeable sur les activités hôtelières et golfiques. Nos modèles opérationnels sur Anahita ont été testés et ont eu à être repensés avec un focus particulier sur la formation et la productivité de nos équipes et la digitalisation de certaines opérations.
Sur le reste du groupe, nous n’avons pas eu à revoir notre mode de fonctionnement au-delà de nouveaux protocoles sanitaires stricts pour nos employés afin de protéger ces derniers et leurs familles du mieux possible. La question du Health & Safety est pour nous essentielle et nous nous efforçons de toujours faire mieux dans ce domaine.
Cependant, la pandémie de covid a eu une autre conséquence sur le groupe : elle a renforcé notre croyance en la nécessité pour Maurice d’améliorer son indépendance alimentaire et énergétique. Le rôle que nous avons à jouer à ce niveau nous est apparu encore plus clairement et cela nous a amené à accélérer certains projets allant dans ce sens.
Quelle est la vision de l’entreprise en termes de son positionnement à Maurice ?
En 2022, alteo a dévoilé sa nouvelle identité et sa nouvelle vision qui se résume en une phrase : Making the East an everlasting place to grow. Nous entendons par là que nous sommes ancrés dans l’Est de Maurice : toute notre énergie est dirigée en faveur de notre région. Nous y sommes depuis plus de 200 ans, et nous sommes aujourd’hui l’héritier de toutes les compagnies sucrières qui ont façonné le paysage de l’Est et qui se sont regroupées au fil des années. Nous avons construit notre présence avec nos employés, leurs familles, et avec les habitants de la région qui nous connaissent tous.
Aujourd’hui, alteo veut continuer à faire grandir l’Est en y créant de nouvelles opportunités, de nouveaux emplois, en développant des facilités, en encourageant des activités culturelles et sportives dans la région.
Nous sommes conscients que nous avons une responsabilité envers les communautés qui nous entourent et nous souhaitons promouvoir sur ce territoire une philosophie de vie ancrée dans le caractère rural de l’Est, assurer un développement intelligent qui saura créer de la valeur, tout en respectant l’ADN de la région. Ainsi, nous contribuerons à créer un cadre de vie, de travail et de loisirs réellement épanouissant, afin que l’Est demeure un lieu où il fait bon vivre.
Quels sont les défis actuels et futurs du secteur de l’immobilier à Maurice ?
L’immobilier est l’un des secteurs les plus résilients et il reste très prisé, autant par les investisseurs étrangers attirés par le cadre et l’environnement des affaires à Maurice, que par les investisseurs locaux qui y voient une valeur refuge dans un environnement inflationniste. Toutefois, c’est aussi un secteur très compétitif qui compte énormément d’acteurs. Aujourd’hui on trouve aux quatre coins de l’île des projets immobiliers divers, de grands développements type IRS ou PDS, ou encore des Smart Cities… Pour sortir du lot, il est donc indispensable de se démarquer en proposant des produits, des expériences, des sites différents, qui apportent une vraie valeur ajoutée.
Il faut aussi dire que l’un des plus gros défis actuels pour le secteur est l’évolution des coûts de construction, car ceux-ci ont connu une forte hausse ces derniers mois. Il est donc impératif pour les acteurs du secteur d’identifier des solutions pour réduire ces coûts, de se réinventer et de rester compétitifs, tout en garantissant des produits de qualité. En tant que promoteur, nous avons une responsabilité envers notre pays et si les produits que nous livrons ne sont pas à la hauteur des attentes de nos clients, c’est l’image de tout le pays qui risque d’en souffrir. Cela, alors que Maurice, en tant que destination immobilière de luxe, doit déjà lutter avec d’autres juridictions qui possèdent de nombreux atouts. Je tiens d’ailleurs à souligner le travail que fait l’Economic Development Board (EDB) à ce niveau pour promouvoir la destination Maurice et la faire connaître aux investisseurs potentiels.
Au-delà de cela, un défi majeur du secteur à moyen-long terme sera l’accès à l’eau potable. Les épisodes de sècheresse récurrents nous rappellent à quel point nous sommes vulnérables et nous devrons traiter ce sujet en priorité afin d’éviter qu’il ne devienne un vrai frein au développement. Cela nécessitera que les autorités compétentes et le secteur privé travaillent en étroite collaboration pour trouver des solutions pérennes à ce problème. J’ai récemment eu des échanges très encourageants avec la direction de la Central Water Authority (CWA) à ce sujet et garde espoir de voir les choses évoluer dans le bon sens rapidement.
Alteo est le plus grand propriétaire foncier de l’île avec des actifs immobiliers sous gestion d’une superficie totale de 15 000 hectares et d’une valeur de Rs 14,7 milliards. Cela place-t-il le groupe dans une position idéale pour devenir le principal acteur immobilier de la région Est ?
Nous avons effectivement un patrimoine foncier considérable dans l’Est, de Piton à Grande Rivière Sud Est, et il s’accompagne d’une grande responsabilité : celle de valoriser nos acquis, tout en préservant ce qui rend la région unique. Ainsi, la majeure partie de nos terres – soit près de 10 000 hectares – restera dédiée à l’agriculture et à la culture de la canne à sucre.
Nos projets fonciers et immobiliers auront, eux, pour objectif d’ajouter de la valeur à l’Est en préservant son authenticité. Notre ambition est de proposer une qualité de vie comme on n’en trouve nulle part ailleurs, et cette ambition s’appuie sur les qualités propres à notre région : sa verdure, ses grands espaces, sa ruralité, la chaleur humaine… Il y a un art de vivre dans l’Est qu’il est indispensable de protéger et c’est la mission que nous nous sommes donnée. Avec de nouvelles infrastructures, comme de nouvelles écoles et d’autres facilités de ce genre, nous souhaitons changer la perception que certains se font de la région, pour que tous réalisent que l’on peut vivre à l’Est et pas seulement y aller à la mer le weekend.
Comment le groupe compte-t-il se démarquer dans un secteur déjà saturé ? Qu’elles seront les clés de la réussite pour le cluster Property du groupe ?
Notre cluster immobilier prépare le lancement du nouveau projet Anahita Beau Champ qui se situe entre les villages de GRSE et de Beau Champ, et les limites actuelles d’Anahita. Ce projet fera la part belle aux espaces verts et à l’histoire de la région, notamment avec la réhabilitation des sites historiques présents à Beau Champ, dont l’ancienne usine. Il proposera une nouvelle offre résidentielle pour les Mauriciens et les étrangers mais aussi de nouvelles infrastructures de loisirs et de services essentiels pour les habitants des villages de l’Est.
Nous ambitionnons également de continuer à concevoir de nouveaux projets résidentiels, commerciaux ou de loisirs plus largement dans la région et ainsi de continuer à rendre le territoire de l’Est encore plus riche et attirant. Ainsi, toutes les actions du groupe, et plus particulièrement de notre pôle immobilier, se feront dans le respect des principes du développement durable afin que nos projets contribuent positivement à la société et à l’environnement, en ligne avec les trois piliers de notre cluster : GreenEst, HealthiEst et SmartEst.
Aujourd’hui, le secteur de l’agro-industrie ne représente que 3,1 % du PIB. L’importance du secteur pour répondre aux besoins de consommation alimentaire de la population ne peut être sous-estimée. Quelle devrait être la feuille de route pour la stratégie agricole nationale pour assurer au pays une certaine autosuffisance ?
En effet, l’île Maurice produit moins de 25 % de ses produits alimentaires et doit trouver d’urgence des solutions pour améliorer cette situation. Notre vision en la matière est claire : le secteur agricole mauricien doit être plus performant, plus efficient, plus smart. En nous appuyant sur les dernières technologies, nous pouvons avoir une approche plus raisonnée de l’agriculture, plus respectueuse de l’environnement tout en restant économiquement viable, ce qui limiterait l’utilisation de substances chimiques présentes dans les pesticides et les engrais.
C’est d’ailleurs dans cette optique que nous avons investi dans des équipements à la pointe de la technologie pour nos serres de tomates, par exemple. Ces équipements permettent notamment un suivi en temps réel de la température dans nos serres et donc l’optimisation de notre utilisation d’eau etc. Nous utilisons uniquement des produits naturels pour protéger la vingtaine de variétés que nous cultivons des maladies fongiques et des insectes ravageurs. Actuellement, nous comptons trois serres à Union Flacq sur une surface de sept mille mètres carrés, et notre objectif pour les prochaines années est de tripler notre production tout en maintenant notre approche raisonnée.
Notre élevage de cerfs, situé à Deep River, est une autre de nos activités qui vise à contribuer à la sécurité alimentaire du pays, cette fois en proposant de la viande de cerf toute l’année. Il s’agit d’un élevage en semi-liberté où nos animaux profitent de 176 hectares de pâturages et se nourrissent exclusivement d’herbe afin d’assurer une qualité de viande inédite à Maurice. Là encore, notre but est de montrer qu’il est possible de produire de manière raisonnée, sans avoir forcément recours aux antibiotiques et autres produits visant à maximiser le rendement.
A travers toutes ces initiatives en faveur d’une agriculture plus smart, plus durable, nous souhaitons montrer qu’un autre mode de fonctionnement est possible, et encourager les autres planteurs et producteurs, petits ou gros, à avoir une approche similaire. Nous appelons de tous nos vœux une stratégie nationale qui promeuve une telle approche et nous serions évidemment très heureux d’y participer. Alteo collabore déjà étroitement avec la Chambre d’agriculture dans ce sens.
Alors que la crise climatique s’intensifie, les pratiques agricoles durables sont essentielles pour atténuer les effets négatifs sur l’environnement et accroître l’efficacité des systèmes alimentaires. Assistons-nous à un éveil sociétal vis-à-vis de l’agriculture conventionnelle et son usage intensif de produits chimiques ?
Il est indéniable que la demande pour des produits issus de l’agriculture biologique et/ou raisonnée est en hausse : les gens sont de plus en plus soucieux de la provenance et de la qualité des produits qu’ils consomment. Plus conscients aussi de l’impact des pesticides sur leur santé, les consommateurs recherchent des produits plus sains. Or, nous savons qu’à Maurice, il y a une utilisation trop intensive de produits phytosanitaires. Il faut toutefois remettre les choses dans leur contexte : nous avons de nombreuses contraintes, notamment notre climat tropical. Si on veut changer notre mode de fonctionnement, il ne suffit pas de le dire. Il faut aussi proposer des solutions aux planteurs et aux producteurs, petits et grands, pour les encourager à aller vers une agriculture durable ; des solutions économiquement viables et réalistes qui peuvent être mises en place à Maurice.
A notre niveau, nous sommes conscients qu’en tant qu’acteur du secteur, nous avons un rôle à jouer et nous serons plus que ravis de partager nos techniques et notre savoir-faire dans le domaine. Cela étant dit, notre méthode n’est pas la seule qui vaille, et il est certain que d’autres moyens de produire durablement existent. Ce qui importe, c’est que les producteurs locaux se lancent dans cette voie, qu’il y ait un engagement national pour une agriculture plus durable, plus respectueuse des sols et de l’environnement, encadré par une stratégie nationale et de nouvelles règlementations.
La séculaire industrie sucrière a été transformée en un pôle agro-industriel cannier et la contribution de cette l’industrie à l’économie mauricienne est beaucoup plus importante que ce qui est souvent perçu. Mais aujourd’hui, la préoccupation majeure reste la baisse continue de la production suivant la réduction des superficies, exacerbée par la chute des rendements de la canne et du sucre. Comment inverser de toute urgence cette tendance à la baisse des surfaces cultivées en canne ?
Plusieurs facteurs expliquent cette baisse de la superficie sous canne, mais le plus important est le coût de revient de l’exploitation : la canne coûte cher à produire, surtout quand les rendements ne sont pas au rendez-vous. La décision, il y a quelques années maintenant, du gouvernement de rémunérer les producteurs pour la bagasse a été une bouffée d’oxygène qui, couplée à l’excellent prix de vente actuel du sucre, permet à l’industrie de souffler, mais cela n’a pas réglé le problème de l’abandon des champs de canne…
Comme expliqué plus haut, la première solution est, selon nous, l’amélioration de l’efficience aux champs grâce à la mécanisation totale du processus, ce qui contribue à faire baisser les coûts de production. Cela étant dit, l’investissement nécessaire pour une telle mécanisation est conséquent, et les grands producteurs comme alteo peuvent profiter d’économies d’échelle dont les plus petits planteurs ne bénéficient pas. Il est donc indispensable que le gouvernement leur vienne en aide en facilitant l’accès à des fonds et de l’expertise, quitte à ce que les petits planteurs se regroupent pour créer de grandes coopératives gérant des milliers d’hectares, ce qui leur permettra de profiter des mêmes économies d’échelles que les planteurs ‘corporate’. L’autre volet de cette stratégie est le rajeunissement des souches de canne à travers une replantation accélérée avec pour but d’améliorer les rendements. Cet aspect semble avoir été bien compris par les parties prenantes du secteur et je salue ici le bon travail de la Mauritius Cane Industry Authority (MCIA) avec la mise en place récente du Cane Replantation Revolving Fund pour faciliter l’investissement dans la replantation.
Tant que la culture de la canne ne sera pas économiquement et durablement intéressante pour toutes ses parties prenantes, la baisse des surfaces cultivées se poursuivra. La canne, et le sucre, ont encore un avenir à Maurice, mais cet avenir dépend de la volonté de tous les acteurs de l’industrie et du gouvernement de travailler, ensemble, afin de trouver des solutions pérennes pour notre secteur.
La revalorisation des prix du sucre sur le marché européen après des années de disette permet-elle une plus grande sérénité pour l’avenir ?
Effectivement, il y a eu une hausse notable du cours du sucre ces derniers mois. Il faut toutefois garder en tête que le marché du sucre est cyclique : il y a toujours de bonnes périodes suivies d’années plus difficiles. En ce moment, nous nous trouvons dans une excellente période en raison d’un concours de circonstances très favorables : la production mondiale a été moins bonne que prévu après de mauvaises récoltes en Inde et en Thaïlande, ce qui a contribué à maintenir le cours mondial à des niveaux plutôt hauts. En Europe, des conditions similaires perdurent depuis près d’un an maintenant avec pour résultat un besoin accru en sucre importé et donc un prix soutenu par la parité des prix à l’importation.
Encore une fois, ce sont des circonstances exceptionnellement favorables. Nous en profitons donc pour poursuivre nos investissements dans l’aménagement des champs et de nouvelles machines qui nous permettront d’optimiser notre production et d’être plus performants à l’avenir, même si le prix de vente de notre sucre diminue. On ne peut donc pas parler de “plus grande sérénité”, mais plutôt d’une période de répit qui nous permet de nous préparer afin de faire face aux périodes plus compliquées dans les meilleures conditions.
Votre accord avec le CEB comprend un pass-through mechanism qui fait que le coût du combustible est pris en charge par le corps parapublic. Le renouvellement de votre PPA avec le CEB sera-t-il selon les mêmes termes ?
Le PPA entre Alteo et le CEB a été renouvelé pour trois ans et la partie qui concerne le principe de pass-through est restée inchangée. Nous entretenons une excellente relation avec le CEB depuis 1986 et nous espérons que notre partenariat durera encore longtemps.
L’énergie reste un pilier important pour Alteo. Où en êtes-vous avec votre nouveau projet de centrale électrique ? Celle-ci vous permettra-t-elle de passer à une production d’électricité 100 % renouvelable ?
Notre centrale d’Union Flacq est en opération depuis plus de trente ans et reste très fiable, même si de nouvelles technologies permettent désormais d’opérer des centrales plus efficientes. C’est pour cette raison, et aussi parce que nous croyons dans l’importance des énergies renouvelables, que nous ambitionnons de construire une nouvelle centrale 100% biomasse.
Avec une centrale plus moderne et efficiente, nous pourrions produire quelque 140GWh d’électricité annuellement en moyenne avec la même quantité de bagasse qu’aujourd’hui (soit environ 1,75 fois plus d’électricité), ce qui représenterait une hausse de 60GWh additionnels de part d’énergie verte dans le mix énergétique local en base load.
Penser à l’après-charbon est devenu primordial si l’on aspire à bâtir notre sécurité énergétique. Qu’attendez-vous du nouveau National Biomass Framework ?
Le National Biomass Framework, annoncé en 2020 par le gouvernement mais qui se fait toujours attendre, est essentiel ! L’avenir de notre projet 100% biomasse repose entièrement dessus car pour qu’un tel projet soit viable, il faut que la biomasse soit payée à sa juste valeur par le CEB. Cette nouvelle politique pourrait également donner vie à une nouvelle industrie de la biomasse à Maurice et aidera certainement les planteurs de cannes en valorisant la paille laissée aux champs. En attendant la publication de ce Framework, nous avons lancé à notre niveau plusieurs tests et études sur la production et l’utilisation de différentes sources de biomasse, telles que l’eucalyptus, afin de préparer au mieux l’avenir de l’énergie renouvelable à Maurice.
Il faut aussi préciser que la biomasse offre un avantage clé par rapport à d’autres sources d’énergie renouvelable : sa capacité à fournir une énergie de base stable et fiable. Le National Biomass Framework est donc crucial pour notre pays, car il permettra de renforcer notre capacité à produire de l’énergie verte en continu.
La rémunération ‘long-overdue’ de la bagasse à hauteur de Rs 3,50 le kWh a été une bouffée d’oxygène pour toutes les composantes du secteur. Selon certains observateurs, il y a encore des efforts à faire surtout dans la perspective de nos objectifs de production d’au moins 60 % des besoins en électricité du pays à partir de sources renouvelables d’ici 2030. Qu’en pensez-vous ?
Comme évoqué plus tôt, cette rémunération est une bouffée d’oxygène qui permet à l’ensemble des planteurs de cannes d’envisager un avenir meilleur pour notre industrie. Cela étant dit, pour ce qui est du secteur de l’énergie, il s’agit plutôt d’un premier pas. Je suis toutefois convaincu que le Biomass Framework, annoncé en 2020, renforcera la position du gouvernement et du pays en faveur des énergies renouvelables, ce qui est essentiel si nous voulons atteindre l’objectif de 60% d’énergie verte d’ici 2030.
En tant que groupe mauricien, nous sommes déterminés à jouer un rôle clé pour concrétiser cet objectif. Nous prévoyons d’ailleurs la construction d’une nouvelle centrale 100% biomasse, ainsi que la mise en place de projets solaires et éoliens dans l’Est de l’île. Or, pour que cette vision devienne réalité, il est impératif que notre pays se donne les moyens de ses ambitions. Le gouvernement et le CEB doivent ainsi agir rapidement pour faciliter la mise en place de projets d’énergies renouvelables dans toutes les régions de l’île, car l’avenir de Maurice en dépend.